L'inconnu qui, au hasard d'une promenade dans ces rues sombres, remarquerait des maisons mal construites et dispersées çà et là, aux toitures agonisantes, n'aurait jamais l'idée de mettre les pieds dans un tel milieu.
Je suis né à Volgarie, par une certaine soirée chaude d'octobre. Mon cordon ombilical est enterré derrière la maison, sous l'amandier qui de ses larges branches feuillues, étale une ombre géante. Mon père n'a pas pu emmener ma mère à l'hôpital. Quand il avait appelé une ambulance, les responsables prétextaient ne pas avoir de carburant. Mais, il était notoire qu'ils ne voulaient pas venir à Volgarie. Tout bonnement. Cependant, ma mère souffrait énormément des tranchées. Père a sollicité les bons offices d'une femme-sage, j'ai pu voir le jour. Ce soir-là, à travers les nuages qui se dessinaient dans l'espace, les éclairs jouaient à cache-cache et zigzaguaient . Sans nul doute, le ciel s'en voulait à mes parents de m'avoir mis au monde en un tel endroit. Il s'en voulait à toute Volgarie.
Mon père se rappelait toujours avec amertume comment dans le temps Volgarie était un lieu tranquille. Il circulait librement. Si par malheur quelqu'un avait perdu sa bourse ou quelques effets , il les aurait trouvés au poste de police le plus proche. A cette époque, Volgarie respirait la paix. Il gardait sur lui des coupures de journal relatant l'époque dorée où le commerce florisssait, où le tourisme s'imposait comme notre plus grand fleuron. Cette période a malheureusement disparu dans un pli du temps qui à jamais s'est refermé. Mon père ne s'en remet pas jusqu'à présent.
De nos jours, nous sommes obligés de nous terrer à la maison. Acculés. Et sous les lits, les tables. Nous dormons avec un œil fermé et l'autre grand ouvert. Des gangs armés sèment la terreur. Dans toutes les artères de la région, le banditisme fait couler le sang, pillant et rançonnant quiconque osera montrer la pointe de son nez. La peur s'installe tout en obligeant à jeûner une communauté qui a faim toute l'année. Les rares visages que j'ai croisés ont une main à la mâchoire et des plis au front. Coupée du reste du monde, Volgarie végète. Elle croupit dans les eaux sales d'une Autorité impuissante.
Ma mère tenait une petite boutique située dans la pièce donnant sur la rue de notre maison toute délabrée. Quant à lui, mon père faisait de petits boulots. Je m'inquiétais constamment pour lui quand il devait partir à l'aurore du jour que pour se pointer à la tombée de la nuit. Nul besoin de souligner que les rues ne sont pas sûres. On est à Volgarie. Cette réalité triste et accablante, devenue proverbiale, plonge la zone dans un cauchemar et dresse des barrières d'indifférence.
Comme si ma venue au monde dans des situations précaires ne leur a pas causé assez de tort, ils ont agrandi la famille de deux autres enfants. Un garçon et une fille. Tout jeune, mon imaginaire était peuplé d'images, d'actes trop lourds, trop percutants pour ma jugeote d'adolescent. Les économies de bout de chandelles m'ont permis de fréquenter l'école. Mais quelle école ? Le travail aidant, j'ai appris tant bien que mal ce qu'on m'a enseigné. Mon frère et ma sœur apprenaient à l'aide de mes anciens cahiers, bénéficiant de mon doigté de précepteur en herbe. J'ai ainsi grandi dans ce purin, côtoyant des mecs puant l'alcool et la drogue, n'hésitant pas à se servir de leurs flingues pour régler un litige qui aurait pu être résolu à l'amiable.
Trop compatissante, ma mère vendait à crédit à son entourage. Certaines fois, des voyous de grand chemin du quartier la braquaient, emportant des provisions. Rarement, ils ont pris de l'argent. Tout cela finit par la ruiner. Père perdait du même coup son travail. Les choses s'annonçaient mal pour nous.
La misère s'acharne sur la communauté volgarienne. Nous avons connu des moments noirs. La faim nous menait la vie dure. Tant de fois,notre père s'est armé de courage et est sorti pour apporter de quoi nous mettre sous la dent. Tant de fois, il est rentré bredouille, car personne ne s'aventure dans les rues. Quand ça allait bien au bon vieux temps, mon père trouvait toujours du pain accompagné d'un grand pot de solution sucrée à mettre sur la misérable table familiale. Il assumait sa dignité d'homme : il nourrissait sa famille comme il pouvait.
Espérant des jours meilleurs qui ne viennent pas et dans la crainte de ne pas pouvoir subsister pendant longtemps, j'ai vivement conseillé à mes parents de nous enfuir. Certes, il ne s'agit pas d'un exercice des plus faciles. C'est même une entreprise très périlleuse. Mais il fallait tenter le coup. La résignation, déesse des indigents, paralysait toute volonté, toute démarche de la part de mes parents. J'ai beau parler. En dépit de la situation déplorable qui s'aggrave à chaque seconde, ils refusaient toujours catégoriquement le fait de partir. J'étais convaincu que ce risque qu'ils ont si peur de peur pouvait changer grandement le cours de leurs vies. Angoissé et muni d'un regain d'espoir, comme dans Prison Break, je m'imagine une porte de sortie. A l'insu de tous, je mijote un plan que je ne tarderai pas à mettre à exécution. Volgarie fait peur à toute lueur d'espoir.
Un calme profond règne dans la rue. Seuls rompent le silence de la nuit une détonation lointaine et un chien affamé qui gratte à une porte. Les étoiles, aussi témoins que complices de ma fugue, éclairent mon chemin. Les maisons dorment, tranquilles. On dirait qu'elles sont désertes. Je suis le seul aux alentours à braver une nuit si noire. Mais où vais-je ? Je n'ai pas besoin de le savoir pourvu que je laisse Volgarie. Mort ou vif.
Par Wislin Altaïr PREVIL, étudiant à la Faculté d'Agronomie et de Médecine Vétérinaire (FAMV)
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